Wafaa, 41 ans, est toute pâle mais elle garde le sourire. Cette femme qui élève seule trois enfants âgés de 7, 5 et un an fait ce qu’elle peut. Elle vit dans une chambre sans cuisine dans l’entrée d’un immeuble du quartier al-Zahirié de Tripoli. Hier pour la dixième nuit consécutive, il a fait trop froid.
Wafaa n’a ni chaufferette ni électricité. Elle n’a pas de tapis en laine mais un simple drap épais qu’elle met sur le sol. Elle dort avec ses trois enfants sur un mince matelas en éponge posé par terre. Et elle possède une seule couverture.
«Les enfants dorment habillés de leurs manteaux. Pour nous, le chauffage est un luxe inaccessible. C’est à peine si je peux joindre les deux bouts pour leur donner à manger deux fois par jour. Cela fait des mois que je ne leur donne pas de petit déjeuner. Souvent, ils mangent une miche de pain saupoudrée de thym pour caler leur faim et parce que je n’ai rien d’autre à leur offrir », dit-elle. Dans la minuscule chambre où elle vit l’humidité perce les os.
Wafaa était caissière dans un supermarché. Mariée à un homme violent, elle a perdu son emploi bien avant de quitter le domicile conjugal pour sauver sa vie et celle de ses enfants.
«J’ai décidé de me battre seule et je sais que le prix est trop élevé à payer. Mes deux ainés vont à l’école je veux qu’il se fassent une vie. Quand il fait beau, pour qu’ils oublient où nous vivons, je les amène au parc. Pas aujourd’hui, il fait trop froid », dit-elle.
Au court des dernière 48 heures, la température ressentie sur la côte libanaise était de 6 degrés et baissait durant la nuit.
Pour pouvoir payer la chambre minuscule où elle vit et assurer le lait pour son fils benjamin, même si elle le lui donne avec parcimonie, Wafa fait du ménage et du repassage auprès des habitants de l’immeuble où elle habite.

Ali a 47 ans. Il est père de cinq enfants âgés entre 17 et 3 ans. Les deux ainés travaillent, l’ainé âgé de 17 ans est livreur auprès d’un épicier voisin et le deuxième, âgé de 14 ans, est vendeur au marché de puce de Tripoli.
« Hier il pleuvait des cordes, mes enfants n’ont pas pu ramener du pain à la maison, leurs frères et sœur ont dormi sans diner. Depuis des mois nous ne prenons plus de petit-déjeuner. Voila, aujourd’hui mes enfants mangent des pommes de terres crues. La bombonne de gaz pour faire la cuisine, je l’aie vendue il y a deux mois pour ramener des médicaments à ma femme », dit-il, alors que ces trois enfants âgés de 11, 7 et 3 ans croquent des tranches de pommes de terre crues.
Ali n’a pas toujours été pauvre. Il était mécanicien dans une grande usine de la banlieue de Beyrouth. Puis, il est tombé grièvement malade et a perdu son emploi. Il essayé de faire des petits métiers, en vain. Il est toujours souffrant et a besoin urgemment de médicaments et d’analyses médicales qu’il ne peut pas payer. Ses deux ainés qui étaient dans une école privée ce sont mis à travailler pour nourrir la famille. Il y a un peu moins d’un an, il a été expulsé de chez lui parce qu’il ne pouvait plus payer son loyer. Aujourd’hui, il vit dans une maison quasiment sans meubles, rongée par l’humidité. «Mon frère me l’a prêtée mais je dois la lui rendre bientôt pour que son fils s’y installe », explique-t-il.
Ali vit sans eau courante et avec deux heures d’électricité par jour fournie grâce à un câble de générateur prêté par un voisin.
La famille n’a aucun moyen de chauffage et aucun tapis. Pour pouvoir se chauffer, les 5 enfants et leurs parents partagent quatre couvertures.
Toujours à Tripoli, dans un autre quartier, Mahmoud 37 ans vit avec son épouse, ses trois enfants, son frère Ahmed âgé de 24 ans, sa sœur divorcée âgée de 28 ans et sa mère âgée. Il a toujours été chauffeur de taxi, mais il y a un peu moins d’un an sa voiture a été confisquée par la police car elle roule au mazout. Il lui faut 8 millions de livres (environ 350 USD) pour pouvoir la récupérer ; une somme qu’il n’a pas. Ahmed, son frère, travaillait auprès d’un boulanger, mais avec la dévaluation, son salaire ne valait plus rien. Il a préféré démissionner et se mettre à ramasser du métal qu’il revend. «Je fais environ 25.000 livres (environ 1 USD) par kilos de métal. Il me faut environ une semaine pour les rassembler », dit-il en se levant pour montrer son pantalon devenu trop grand. «J’ai perdu plus de 20 kilos depuis le début de la crise. C’est le stress bien sûr, mais aussi nous ne mangeons presque pas », dit-il.
La famille a été expulsée de chez elle parce qu’elle ne pouvait plus payer le loyer il y a deux mois et s’est installée dans un petit appartement de Kobbé. Mais une semaine après le déménagement toutes leurs possessions ont été volées. «On n’a plus rien, ni meubles, ni four, ni frigo, ni chaufferette, ni bombonne de gaz pour faire la cuisine. Nous utilisons un petit réchaud de camping, mais faut-il encore avoir de l’argent pour le recharger », soupire Mahmoud.
«Les adultes de la famille mangent une fois par jour, les enfants deux fois, mais leur diner est souvent composé de pain trempé dans du thé », dit-il.
Assise dans un fauteuil cassé, la mère de Mahmoud confie : «Nous manquons de tout. Nous n’avons même pas 30.000 livres (environ 1 USD) pour acheter du charbon pour nous chauffer. J’ai vu des mauvais jours mais ils étaient bien meilleurs que ceux-là ».
Wafa, Ali, Mahmoud et leurs familles sont des participants à divers programmes d’urgence de CARE International au Liban. Ils ont reçu au cours des mois écoulé de l’argent liquide, des caisses alimentaires, des kits d’hygiène et/ou des bons d’achats auprès des marchands des quatre saisons, des épiceries et des bouchers.