CARE US décerne le prix de la résilience au directeur de son bureau au Liban pour le travail de Titan effectué suite à l’explosion qui a ravagé la capitale libanaise
Le 4 août dernier, au moment de l’explosion du port de Beyrouth, Bujar Hoxha chef du bureau du CARE International au Liban, avait terminé une journée ordinaire de travail et venait d’arriver chez le dentiste, à Gemmayzé dans le 1er périmètre de l’explosion. Au lieu de courir pour sa vie, il a aidé à l’évacuation des patients. Il est sorti pour découvrir l’ampleur des dégâts, a appelé sa famille, est rentré à pied chez lui et s’est attelé à la tâche, celle d’appeler les équipes de CARE au Liban et à l’étranger pour venir en aide à la population sinistrée. 48 heures plus tard, les équipes de l’ONG internationales étaient déployées sur le terrain.
Son appartement, situé à Achrafieh dans le troisième périmètre de l’explosion, a été saccagé et toutes ses vitres ont volé en éclats.
Bujar Hoxha a agi comme tous les Libanais touchés au cœur par la catastrophe ; il a ainsi continué à vivre des jours durant dans sa maison jusqu’à ce que l’équipe chargée de la sécurité au sein de l’ONGI l’oblige de quitter pour un hôtel.
« Je peux comprendre ce que les Libanais vivent, moi aussi avec ma famille quand j’étais plus jeune, j’ai souffert de guerre, de dévaluation monétaire, j’ai vu mes parents perdre leurs économies », souligne ce Kosovar de 41 ans.
The impact award, une distinction attribuée annuellement par CARE US à des nombreuses stars, vient de lui être décernée comme « héro de la vie ordinaire » pour sa résilience et son courage, notamment pour le travail de Titan qu’il a effectué à la suite de l’explosion du port de Beyrouth.
Né dans une famille albanaise du Kosovo, Bujar Hoxha a grandi à Pristina la capitale du Kosovo, gouverné depuis l’éclatement de la Yougoslavie en 1991 par Slobodan Milosevic mort en prison à La Haye en 2006 alors qu’il était accusé de génocide et de crime contre l’humanité inculpé par la justice international de crimes de guerre. Et c’est très jeune qu’il a découvert le goût de l’injustice.
«Comme il y avait des discriminations contre l’ethnie à laquelle j’appartenais, mon père qui était professeur d’université a été congédié de son emploi et nous nous sommes vus mes deux frères moi obligés de travailler pour assurer des revenus à la famille afin de survivre. Nous faisions de petits métiers, nous vendions de la glace, du jus, des cigarettes. Cela entre en fait dans la catégorie du travail des enfants. A l’époque je ne pensais pas que je pourrais un jour être libre et choisir ma vie», explique-t-il.
Cela ne l’a pas pourtant empêché de poursuivre ses études et d’entrer à l’université pour se spécialiser en physique alors que son pays est dévasté par la guerre.
Déporté en train vers la Macédoine
Au printemps 1999, il est obligé par les autorités serbes avec sa famille et des milliers d’autres Albanais du Kosovo de prendre le train pour être expulsés du pays. C’était la deuxième grande injustice dont il était témoin.
«J’avais 19 ans quand nous avons été déportés de Pristina vers un camp de réfugiés à l’Ouest de la Macédoine. Nous étions entassés comme des sardines et au cour du trajet le train s’est arrêté à plusieurs reprises, à chaque fois, on faisait descendre d’un wagon des hommes et des jeunes hommes. Certains étaient insultés d’autres battus, d’autre encore n’ont jamais été revus. Quand j’y pense maintenant, je me dis que c’était vraiment une question de chance de pas avoir été choisi par les soldats », dit-il.
C’est aussi cette même chance qui lui a sauvé la vie lors de l’explosion du port de Beyrouth en août dernier quand il a décidé, pour arriver à la clinique du dentiste, de ne pas prendre l’ascenseur, dont le souffle de l’explosion a entièrement détruit.
« Quand j’étais jeune, j’étais épris de théâtre et je lisais beaucoup les auteurs de l’Absurde. Dans le camp je passais mon temps à lire et relire ‘En attendant Godot’ de Samuel Beckett », raconte-t-il.
Et puis, tentant de trouver de l’espoir dans la pire misère, il participe à la fondation d’une école primaire dans le camp. « Nous étions 48.000 réfugiés, nous n’avions pas le droit de sortir et nous étions rejetés de partout. Dans le camp, il y avait des enfants de tous les âges et des profs d’école et d’université. En créant cette école j’ai pu apporter de l’espoir et de la joie », dit-il.
Encore aujourd’hui, Bujar Hoxha croit toujours dans l’espoir du changement même dans les situations les plus terribles.
Où avait-il puisé son courage à l’époque ? « C’est la solidarité et l’amour inconditionnel de ma famille et de mes proches et c’est encore le cas aujourd’hui », confie-t-il.
C’est dans ce camp de la Macédoine que Bujar Hoxha commence à travailler pour CARE International en tant qu’assistant de terrain.
Il passe six semaines dans ce camp avant de retourner à Pristina, continue de travailler pour CARE International et commence à s’intéresser au travail humanitaire, alors que le monde de l’humanitaire à l’époque était très différent de ce qu’il est devenu aujourd’hui.
Il poursuit ses études et choisit de se spécialiser dans les affaires internationales. Il gravit un à un les échelons de CARE International pour occuper de 2007 à 2010 le poste de directeur du bureau de l’ONGI pour le Kossovo, l’Albanie et la Macédoine.
A cette époque il prépare en parallèle un Master en Affaires Internationales à la Fletcher School of Law and Diplomacy, la plus vieille institution du genre aux Etats-Unis.
« Barrières invisibles entre les communautés »
C’est après avoir terminé son mandat de directeur de bureau dans son propre pays, que Bujar Hoxha décide de quitter CARE International pour aller ailleurs, travaillant notamment auprès de US AID et de Save the Children, dans plusieurs pays du Moyen-Orient. Cette région du monde le passionne.
« C’est une région riche en culture et civilisation, où chaque pays à ses particularités, son histoire, ses habitudes et ses coutumes propres», dit-il. « Le Liban le fascine depuis qu’il est tout jeune, depuis que la guerre a éclaté dans son pays et que la presse et les experts internationaux évoquaient la ‘libanisation des Balkans’ », précise-t-il.
«Je peux comprendre le Liban, parce que dans mon pays aussi tu apprends tout jeune qu’il existe des barrières invisibles qu’il ne faut pas franchir. Quand tu es né au Kossovo, tu sais qu’il existe des barrières invisibles entre les communautés et les gens, tu apprends ce que tu peux dire ou pas, tu t’habitues à voir au-delà de ce qui se passe sous tes yeux. Depuis mon enfance, même avant la guerre, au Kossovo il y avait des barrières entre les gens. Serbes et Albanais coexistaient sans jamais vivre ensemble. Ils fréquentaient des écoles différentes, des cafés et des restaurants différents. Ils parlaient deux langues différentes. Il y avait des non-dits et des interdictions ».
En 2019, Bujar Hoxha retourne à CARE International et reste au Moyen-Orient. Il est nommé directeur du bureau de l’ONGI au Liban.
Comme partout ailleurs, il met son cœur au travail et parvient à voir ce que beaucoup d’humanitaires n’arrivent pas à déceler. Alors que tout le monde planche sur un Liban pays d’accueil de réfugiés, Bujar Hoxha se penche de près sur la situation libanaise. Bien avant la dévaluation vertigineuse de la livre libanaise face au dollar américain et de la pandémie du Coronavirus qui a amplifié la crise économique libanaise, il tente de ramener des projets pour le Liban.
A travers lui, CARE International au Liban est l’une des première ONGI à tirer la sonnette d’alarme sur la crise humanitaire libanaise.
Ayant pris un charge un tout petit bureau de CARE International à Beyrouth en 2019, il a réussi en très peu de temps à l’agrandir et à former de nouvelles équipes.
Durant l’été 2020, suite à l’explosion du port de Beyrouth, le budget du bureau Liban a plus que quadruplé. CARE International est devenu l’une des plus importantes ONGI, en matière de projets exécutés, opérant au Liban.
Une vision et une stratégie ont été mises en place ; dans les mois et les années à venir CARE International oeuvrera dans quatre domaine au Liban, la sécurité alimentaire, les questions de genre et de l’autonomisation des femmes, la reconstruction et la réhabilitation des maisons détruites ainsi que l’innovation en matière d’environnement.